Bourguiba et le consul Doolitle

« Mon ami » Hooker Doolittle : les premiers contacts américains avec Habib Bourguiba

L. Carl Brown

«Quand j’allais rencontrer Bourguiba, rappelle Walter Culler, ambassadeur des Etats-Unis a Tunis de 1981 à 1934, mes visites s’effectuaient suivant un scénario immuable. Je me rendais au palais, où j’étais introduit, généralement par le ministre des Affaires étrangères, dans le bureau : une pièce relativement petite – de Bourguiba… Il se pouvait que j’aie une question de travail à évoquer, mais généralement elle était traitée très rapidement… et j’avais alors droit à une promenade dans l’histoire. Bourguiba aimait faire le tour du propriétaire avec ses visiteurs et leur montrer ceci ou cela… Il y avait notamment ce que j’appelais les « instantanés » ; les photos de nationalistes tunisiens, prises par la police et les services de sécurité français, Bourguiba figurait parmi eux… Ensuite, il en venait à une photo, remonta ni à 1943, où on le voyait serrant la main d’Hoker Doolittle sous l’aile d’un vieux C-47. « Eh, voilà mon ami », disait-il. A vrai dire, le plus souvent il essuyait une larme ».

Il est permis de soutenir que Hooker Doolittle, consul général à Tunis de 1941 à 1943, est à l’origine des relations des États-Unis avec Habib Bourguiba. Les brèves rencontres de ces deux personnalités offrent matière à un récit fascinant de nature à séduire les adeptes d’une lecture histoire axée sur les individus et non point sur les processus désincarnés. Dans cette perspective du « héros dans l’histoire», Bourguiba apparaît comme la personnification du nationalisme tunisien, l’homme qui obtiendrait l’indépendance de la Tunisie treize ans après sa première rencontre avec le diplomate américain. Quant à Doolittle, représentant sur le terrain d’un gouvernement américain profondément impliqué dans le jeu politique nord-africain du temps de la guerre, il incarnerait la politique anticolonialiste américaine, déterminée à conduire la Tunisie vers la liberté. Ou bien, version plus conforme aux vues de nombreux observateurs français, Doolittle était-il un précurseur de la stratégie américaine visant à remplacer l’empire européen par «l’imperium » informel des Etat-Unis. Il y a du vrai dans cette lecture très personnalisée de l’histoire. Avec le recul d’une soixantaine d’année, Bourguiba et Doolillle nous apparaissent tous deux à juste titre comme des premiers rôles sur l’avant-scène de l’histoire. En effet, leur prise de contact peut être considérée comme une étape importante sur la voie de l’indépendance de la Tunisie. A l’époque, cependant, pour les autorités à même de peser sur la politique tunisienne en cette période de guerre, Bourguiba et Dooliltle n’étaient que des personnages secondaires, quelque peu déphasés pas rapport aux exigences de l’heure. Pour autant, le fait de situer l’épisode Habib Bourguiba-Hooker Doolittle dans et contexte historique plus large ne saurait diminuer leurs mérites. Au contraire, il ajoute foi à leur perspicacité.

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